Pourquoi la Dominique a-t-elle été aussi touchée par Erika, alors qu’à quelques dizaines de kilomètres de ses côtes, la Martinique et la Guadeloupe ont-elles été épargnées ?
Christian Massip et Thierry Dupont, de Météo-France Martinique, nous en expliquent en cinq points les raisons.
1 – Une tempête particulièrement capricieuse.
Erika a fait transpirer les prévisionnistes de l’ensemble du bassin Atlantique Nord. Ce phénomène, né le 24 août, n’a pas cessé de changer de trajectoire.
La faute notamment à sa structure « cisaillée », c’est-à-dire aux vents forts qui l’ont bousculée en altitude. Alors que son centre aurait dû passer sur Antigua, il a préféré le nord de l’archipel guadeloupéen.
2 – Du désordre à l’arrière de la tempête
Dans les phénomènes du type d’Erika, ce n’est pas au niveau du coeur que les effets
sont les plus redoutés, mais plutôt en périphérie, et de façon non symétrique. Ainsi, il ne s’est pas passé grand-chose au nord d’Erika, mais des orages ont pris pied au sud et à l’est. La Dominique
a été bien plus touchée qu’Antigua ou la Guadeloupe.
3 – Des orages qui s’activent « comme du pop-corn ».
Dans un système aussi peu organisé que celui d’Erika, les cellules orageuses fleurissent un peu partout, avec une durée de vie de quelques heures. Mercredi soir, les météorologistes de Martinique
pensaient bien qu’Erika allait faire des dégâts chez nous. Finalement, elle a choisi le Sud de la Dominique. Sans raison connue.
La pluie n’en finissait plus de tomber, avec un pic d’intensité entre 4h30 et midi. À la moitié de la nuit, les services de Météo-France ont prévenu l’État-major de zone Antilles , afin qu’il se prépare
à intervenir à la Dominique rapidement. Ce qui fut fait dès jeudi, au moyen de l’hélicoptère Dragon de la Sécurité civile.
4 – Un mauvais temps qui « fait le ménage » dans son entourage.
Les orages, avec leurs mouvements d’air ascendants et descendants, concentrent l’essentiel des perturbations. Le temps était ainsi tellement mauvais dans le sud de la Dominique, que c’est ce
qui nous a épargnés… D’ailleurs des orages ont bien tenté de se former, partant du sud-ouest de la Martinique, mais ils étaient stoppés dans leur élan. Chez nous, les quelques rafales de vent
se sont concentrées, comme sur la Caravelle. Ainsi que les précipitations importantes, comme sur le Morne Jacob.
5 – L’incertitude reste la norme.
Si les services météo arrivent peu ou prou à évaluer l’intensité des vents, les prévisions restent encore très imparfaites concernant les précipitations à petite échelle. Pourtant, ces dernières ont des conséquences importantes sur les crues et les glissements de terrain.
En Martinique, Météo-France craignait jusqu’à 250 mm d’eau. Finalement,
ce sont 100 mm seulement qui sont tombés.Par contre, à la Dominique, environ 200 mm sont tombés en trois heures, entraînant les dégâts que l’on sait, et la majorité des décès…
Pourquoi les Dominiquais n’ont pas été prévenus
Mercredi dernier, alors que la Guadeloupe et la Martinique étaient placées en vigilance orange, le gouvernement dominiquais n’avait pas donné le moindre signe d’alerte à la population. Négligence ou méconnaissance ?
Que ce soit sur les radios, les télévisions ou les journaux dominiquais, Erika ne faisait pas la Une mercredi dernier. Sur le site du gouvernement dominiquais et même celui de l’«Office of disaster
management» (Bureau de gestion des catastrophes), rien ne laissait entrevoir le désastre qui se préparait. Les critiques ont plu sur le Premier ministre, Roosevelt Skerrit, qui a même dû se justifier vendredi dernier, lors de son allocution télévisée.
Comment la vigilance et l’alerte sont-elles organisées à la Dominique ?
En fait, la Dominique (et en particulier le Dominica Meteorological Service, l’équivalent de Météo-France) est, à ce jour, tenue informée directement par le National Hurricane Center (NHC, basé à
Miami) des alertes météo.
Le NHC est le centre chargé par l’Organisation météorologique mondiale de donner prévisions et analyses concernant les bassins océan Atlantique Nord et du Pacifique Nord-Est.
Pour la tempête Danny, des bulletins ont bien été émis pour la Dominique. Et le gouvernement, en suivant, a donné des consignes à la population.
Pour la tempête Erika, l’île ne faisait pas partie des élus du NHC. En fait, les territoires sont pris en compte à partir du moment où les vents doivent y dépasser 34 noeuds (63 km/h). Et ce n’était
pas le cas pour Erika à la Dominique.
Le NHC a ainsi émis des bulletins concernant les îles du Nord jusqu’en Guadeloupe incluse. Le gouvernement dominiquais n’a donc donné aucune consigne. Quel rôle aurait pu, ou aurait dû,
jouer la Martinique, la Guadeloupe et plus généralement la France, en terme de prévision pour notre voisin ?
IMAGES RADAR DISPONIBLES
Il faut souligner que la Dominique, contrairement à nous, ne disposepas de radars.Toutefois, nos images sont bien mises à la disposition des autorités.
Et ce, par deux biais : le NHC en dispose et il existe aussi un extranet, nommé Sherpa, accessibles aux autorités dominiquaises.
Mais encore faut-il que ces images soient utiles : même chez nous, Météo-France ne savait absolument pas ce qui allait nous tomber dessus. Rappelez-vous : parfois,
des phénomènes classés en vigilance jaune en Martinique nous réservent des surprises…
Deuxième point : il faudrait que les services météorologiques de la Dominique aient les moyens d’exploiter ces images, ce qui pas certain.
Si Roosevelt Skerrit a déclaré vendredi soir qu’il était « inutile de blâmer les autres pour ce qui est arrivé à la Dominique », il a quand même ajouté que les prévisionnistes
s’étaient concentrés sur les grandes îles de la Caraïbe et la Floride.
Le système de vigilance à l’échelle des petites îles de la Caraïbe pourrait donc être amélioré, ce que Serge Letchimy n’a pas manqué de souligner hier, en indiquant que « la coordination, au niveau
des intempéries ou des sargasses est à l’ordre du jour des prochaines réunions de l’OECS (Organisation des Etats de la Caraïbe orientale) et du Caricom ».
C.Everard (avec R.L)